France d’en haut/France tout terrain
Nous les travailleurs sociaux de terrain, sommes souvent amené à accompagner des personnes sur des chemins de traverses pentus, rocailleux, semés d’embuches. Nous qui sommes tout terrain en somme, sommes-nous entendus et écoutés par la France d’en Haut ?
Les professionnels de terrain, n’ont plus l’oreille des politiques. Les principales politiques menées dans le secteur de l’Enfance, passées à la moulinette des communicants, se veulent consensuelles voire même électoralistes.
Nous, militants de l’Association Nationale des Personnels de l’Action Sociale en faveur de l’Enfance et de la famille, nous pensons que l’engagement pour l’Enfance doit être un acte militant.
Prioriser l’Enfance c’est avoir le souci de l’Enfance dans toutes les décisions politiques de la vie sociale et économique du pays.
Nous ne pas doutons pas de la capacité de nos politiques, à le faire mais nous doutons de leur capacité à réviser les choix qu’ils font, lorsque nous professionnels de terrain, attirons leur attention sur des analyses qui ne sont pas conforme à la réalité ou en inadéquation avec les besoins des enfants.
La tâche n’est pas facile tant les questions liées à l’enfance et à la jeunesse sont complexes, pluridimensionnelles – sociales, psychologiques, médicales, éducatives, politiques, économiques, culturelles et éthiques –, pluri-institutionnelles et concernent de multiples acteurs, tant politiques que relevant de la société civile : État, collectivités territoriales, caisses d’allocations familiales, associations…
La tâche n’est pas facile, pourtant il est possible d’apprendre de ses erreurs ; les erreurs ont la vertu de nous rappeler nos limites et de nous rapprocher des autres en dissipant nos illusions de toute-puissance… encore faut-il le vouloir ou le pouvoir ! Un politique peut-il apprendre de ses erreurs ?
En novembre 2019, pour réussir ce challenge, le CEP-Enfance a fait des propositions pour une politique visionnaire avec des yeux d’enfants.
En 2021 le gouvernement déploie et projette plusieurs réformes concernant la vie des enfants et des adolescents. Que dire de la politique sociale qui les sous-tend ? Qu’elle est visionnaire ? Qu’elle s’est interrogée sur les conséquences potentielles pour les enfants en termes de prévention, de protection et de précaution ? L’opportunité d’instaurer une obligation légale d’une mesure préalable d’impact pour toutes les politiques publiques quant à leurs effets potentiels sur le développement, la santé et les droits de l’enfant : dans tous les secteurs d’activité économique, sociale, environnementale, juridique, culturelle, de sécurité… est un rendez-vous à nouveau manqué !
Sur quel cadre de référence quant à la satisfaction des besoins fondamentaux de l’enfant, national et partagé, est-on capable aujourd’hui de mobiliser transversalement services et institutions ? Y a-t-il une volonté politique d’y parvenir ? Les travaux de recherche, les rapports établis après consultation des professionnels de terrain, sont de nature à fournir un corpus de base, mais ceux-ci hibernent au fond des tiroirs des ministères.
Aujourd’hui, force est de constater que la volonté de rationalité économique, à court terme, altère les formes du raisonnement politique. La prévalence de la gestion dans la conduite des affaires publiques altère toute anticipation visionnaire. Pire encore, le nombre de travailleurs sociaux en protection de l’Enfance est devenu une variable d’ajustement dans les budgets déficitaires de certains conseils territoriaux.
Les travailleurs sociaux sont des travailleurs de l’ombre, dont le travail si particulier reste trop souvent invisible. Les faits divers, les pratiques professionnelles maltraitantes le mettent parfois en lumière ; l’émotion médiatique leur donnant alors un écho qui entache toute la profession. Ce dont on parle peu, ce sont des dizaines, des centaines de milliers de réussites et d’engagements individuels et collectifs tant pour la population que pour les professionnels.
Cette force d’intervention sociale pourrait davantage se mobiliser et être mobilisée, si elle était davantage reconnue et soutenue. Les recettes « vintage » que sont les collectifs, les associations, devraient être encouragés et écoutés. Les experts qui hantent les médias et les couloirs des ministères, représentent-ils vraiment la cause de l’Enfance et les 1,2 million de travailleurs sociaux (étude DREES 2011) ?
Enfants, parents et professionnels ont la capacité de s’exprimer sur ce qui est aidant pour eux et ce qui ne l’est pas, sur ce qui aide à grandir, mais ces prises de paroles n’ont aucun poids si elles ne structurent pas au sein de collectifs sauf… quand celles-ci font le buzz !
Exister, être reconnu, est devenu un méta-besoin. Les personnes que nous accompagnons sont souvent nés avec dans leur besace, des sentiments d’insécurité, d’impuissance, d’inutilité sociale, d’humiliation, de culpabilisation, de fatalisme… mais ils n’ont pas la conscience d’avoir l’expertise profane. Ils ont la ressource, le professionnel, travailleur social, a la compétence, (ou se doit de l’acquérir) à faire émerger cette expertise pour leur permettre de trouver des solutions par eux-mêmes, qui allègeront le fardeau… pour la génération suivante !
Pendant ce temps-là, les principales politiques menées dans le secteur de l’Enfance produisent des normes alors que ce sont des espaces de pensée, des espaces d’analyse des pratiques, des espaces de représentation dont le besoin se fait sentir. Quant à la pertinence des normes produites, il est permis d’en douter au regard de la réforme des modes d’accueil de la petite enfance ; ainsi, il existe une réelle dichotomie entre les déclarations de principe, la référence permanente à la charte d’accueil du jeune enfant et les mesures concrètes de la réforme. Est-cela avoir le souci de l’Enfance, toujours plus d’enfants accueillis par moins de professionnel(le)s toujours moins qualifié(e)s !
Nous les travailleurs sociaux, aimerions ne pas douter de la capacité de nos politiques de la France d’en haut à écouter la France tout terrain, nous les travailleurs de l’ombre, sommes soucieux, tout comme eux, du mieux vivre ensemble, de la lutte contre l’exclusion, de la nécessité de renforcer la cohésion sociale et de défendre la justice sociale !
Avoir le souci de l’Enfance, c’est aussi avoir le souci des enfants mais aussi des professionnels qui œuvrent dans le champ de l’Enfance.
La crise que nous traversons avec le COVID a été l’occasion de mesurer l’intérêt qui leur est réellement porté. Les travailleurs sociaux de la protection de l’enfance ont fait face dans un système au bord de l’implosion auprès d’enfants et d’adolescents, sans échappatoire, maltraités, victimes silencieuses du confinement ; des enfants en foyer et en famille d’accueil 24h sur 24, sans scolarité, avec un soutien thérapeutique interrompu ou aléatoire ! Les travailleurs de l’ombre sont alors devenus aussi invisibles que les publics dont ils s’occupent pour le secrétaire d’État en charge de la protection de l’enfance ainsi que pour les médias. Les exemples de l’intérêt supérieur porté alors à l’Enfance ne manquent pas : des enfants isolés les uns des autres pendant le temps de la récré, des bébés déshabillés devant la porte de leur assistante maternelle qui a pour consigne d’éviter tout contact physique avec ces nourrissons… Inutile de s’étendre davantage sur ces nouvelles violences institutionnelles, qui illustrent la nécessité absolue pour la France d’en haut d’écouter la France tout terrain.
Procédures, protocoles, recommandations maladroites, enfants maltraités « pour leur bien » « par » des travailleurs de l’ombre devenus invisibles et dont la parole n’a guère été entendue.
- Nous, travailleurs sociaux préconisons une incitation à développer les collectifs, les associations, pour obtenir une meilleure représentation des professionnels au service de l’Enfance. Outre l’aspect représentatif auprès des instances politiques, cela permettrait de soutenir la recherche en travail social.
Nous n’avons pas le souhait d’être à toutes places, mais celui d’être écouté quant à l’impact des politiques publiques quant à leurs effets sur le développement, la santé et les droits de l’enfant ainsi que sur leur famille.
- Dans l’esprit des États généraux du travail social la mise en place d’espaces-relais territoriaux en vue d’adapter le Conseil supérieur du travail social (CSTS) aux enjeux et attentes du travail social est une perspective intéressante.
Les questions liées à l’enfance et à la jeunesse sont complexes, pluridimensionnelles. Elles agissent en effet sur un système composé d’une multitude d’acteurs et de paramètres qui interagissent continuellement.
- Nous préconisons une approche interministérielle , seule façon de prendre en compte les interactions complexes de toute politique de l’enfance.
L’engagement pour l’Enfance doit être un acte militant et non une variable d’ajustement dans les budgets de l’état ou des collectivités territoriales. Il ne s’agir de continuer à gérer l’existant, il y a lieu de faire le pari de l’humain.
- Pour être innovant, créatif, dans le pays, comme dans les collectivités territoriales, trouver les solutions de « sortie par le haut » dans les crises que l’on connaît, en mobilisant les équipes, il faut plus que jamais faire le pari de l’intelligence, le pari de l’humain.
La France d’en haut nous semble de plus en plus éloigné des réalités sociales, non pas qu’elles les méconnaissent mais parce qu’elle semble ne pas vouloir les entendre. Le sort réservé aux cahiers de doléances des gilets jaunes, aux propositions de la Convention Citoyenne sur le Climat suffit à illustrer le propos.
- A l‘ère du numérique, nous pensons à l’Anpase, qu’une meilleure connexion entre travailleurs du social et politiques peut se réinventer, s’il y a une volonté politique d’y parvenir.